Les traîtres jurent par la mer et ses divinités qu’ils vont obéir : ils m’ordonnent de déployer les voiles, et de cingler vers l’île de Naxos. Elle était à droite; à droite je dirige le vaisseau : « Insensé ! s’écrie-t-on de toutes parts; Acétés, quelle fureur t’aveugle ! tourne à gauche ». La plupart me font connaître leur dessein par des signes; plusieurs me l’expliquent à l’oreille; je frémis : « Qu’un autre, m’écriai-je, prenne le gouvernail, je cesse de prêter mon ministère au crime et à ses artifices ». Un murmure général s’élève contre moi : « Crois-tu, dit Éthalion, qu’ici le salut de tous de toi seul va dépendre ? » et soudain il vole au gouvernail, commande à ma place, s’éloigne de Naxos, et tient une autre route.
Alors l’adolescent, comme s’il feignait d’ignorer leurs complots, du haut de la poupe regarde la mer, et affectant des pleurs : « Nochers, dit-il, où sont les rivages que vous m’aviez promis ? où est la terre que je vous ai demandée ? comment ai-je mérité ce traitement ? est-ce donc pour vous une grande victoire si, dans la force de l’âge, réunis tous contre un seul, vous trompez un enfant » ! Cependant je pleurais : l’impie nautonier riait de mes larmes, et la rame fendait les flots à coups précipités.
« Thébains ! j’en atteste Dionysos, et il n’est point de dieu plus puissant que Dionysos. Les faits que je vais raconter sont aussi vrais qu’ils sont peu vraisemblables. Le vaisseau s’arrête au milieu des flots, comme s’il eût été à sec sur le rivage. Les nautoniers surpris continuent d’agiter leurs rames. Toutes les voiles sont déployées. Inutiles efforts ! le lierre serpente sur l’aviron, l’embrasse de ses nœuds et le rend inutile; ses grappes d’azur pendent aux voiles appesanties. Alors Dionysos (car il s’agissait bien de Dionysos) se montre le front couronné de raisins : il agite un javelot que le pampre environne; autour de lui couchés, simulacres terribles, paraissent des lynx, des tigres, et d’affreux léopards.
Soudain, frappés de vertige, ou saisis de terreur, les nautoniers s’élancent dans les flots. Médon est le premier dont le corps resserre en arc, se recourbe, et noircit sous l’écaille : Quel prodige te transforme en poisson, lui criait Lycabas ? et déjà la bouche de Lycabas ouverte s’élargissait sous de larges naseaux. Lybis veut de sa main agiter la rame qui résiste, et sa main se retirant, en nageoire est changée. Un autre veut du lierre débarrasser les cordages, mais il n’a plus de bras, il tombe dans les flots, et les sillonne de sa queue en croissant terminée. On les voit tous dans la mer bondissant : de leurs naseaux l’eau jaillit élancée; ils se plongent dans l’élément liquide, reparaissent à sa surface, se replongent encore, nagent en troupe, jouent ensemble, meuvent leurs corps agiles, aspirent l’onde et la rejettent dans les airs.
De vingt que nous étions je restais seul, pâle, glacé, tremblant. Le dieu me rassure à peine par ces mots : « Cesse de craindre, et prends la route de Naxos ». J’obéis; et arrivé dans cette île, je m’empresse aux autels de Dionysos, et j’embrasse ses mystères sacrés.
– OVIDE – Les métamorphoses – Livre III –